Vadrouilles Attentives

23 juillet

AprĂšs une fin de journĂ©e Ă©puisante moralement je dĂ©marre tranquilou. Je me fais plaisir en prenant mon temps, emprunte une hache pour dĂ©biter les aspĂ©ritĂ©s restant sur mon bĂąton en bois, et qui me griffent encore les jambes Ă  l’occasion. Pas de rush, serein, je veux ĂȘtre dans les meilleures dispositions pour l’ultime Ă©tape de ce pĂ©riple d’un mois, la traversĂ©e du massif de Prenj (que l’on prononce “preigne”).

Il me faut te dresser un peu le portrait de cet ensemble montagneux. Il faut savoir que Prenj comporte des zones minĂ©es, et qu’il est pour cette raison fortement dĂ©conseillĂ© de s’écarter des sentiers. Difficile encore une fois d’imaginer qu’une guerre s’est tenue dans un lieu pareil, si sauvage, escarpĂ©, isolĂ©... Les locaux semblent presque avoir la trouille quand on mentionne le nom de ce massif, ils dĂ©conseillent fortement d’y aller, et encore moins sans guide.

Prenj est Ă©galement rĂ©putĂ© pour sa beautĂ©, sa flore, son cĂŽtĂ© sauvage. Ce massif est dĂ©crit dans certains livres comme une petite Himalaya, il exerce en effet une attraction trĂšs forte pour tout amoureux de montagne, nĂ©anmoins son point culminant atteint tout juste les 2155m, trĂšs loin de l’Everest donc. Est-ce que cela enlĂšve Ă  son charme ? Ce n’est pas dit.

Mes inquiĂ©tudes au cours de cette traversĂ©e resteront les mĂȘmes : la mĂ©tĂ©o et trouver de l’eau. Pour le deuxiĂšme point, ma carte indique quelques refuges en chemin.

Le massif de Prenj 😍&nbsp; Sec, sauvage, sculptĂ© par le temps.<br>
Le massif de Prenj 😍  Sec, sauvage, sculptĂ© par le temps.

Je m’élance donc gaiement, et rapidement dĂ©mangĂ© par la belle pierre calcaire, je crapahute parfois comme un singe au lieu de suivre le chemin
 et je ne tarde pas Ă  tomber sur un premier panneau “Mines” qui me rappelle Ă  l’ordre.

Le paysage s’ouvre devant moi, trĂšs rocheux, trĂšs sec. L’herbe est jaunie, agitĂ©e par le vent, et la richesse de la flore se remarque dĂ©jĂ . Je me retrouve parfois Ă  marcher sur des dominos, l’érosion a hachĂ© la pierre, l’a dĂ©bitĂ©, je survole un puzzle.

Je m’attendais Ă  ne croiser personne mais voici qu’un homme ĂągĂ© s’avance vers moi, il est en itinĂ©rance Ă  pied, c’est un local. L’échange est sympathique mais trĂšs limitĂ© car il parle trĂšs peu anglais.

DĂ©cidĂ©ment ça souffle, impossible de faire un panorama vidĂ©o Ă  peu prĂšs fluide. Tant pis, j’enregistre avec les yeux, ça je sais faire, et me voilĂ  servi. J’atteins un refuge trĂšs sommaire, en forme de tente canadienne. Les arbres autour sont grillĂ©s, morts, leur bois est gris clair comme la pierre. Difficile de faire plus photogĂ©nique. 

Le vent est tel que je m’abrite Ă  l’intĂ©rieur pour dĂ©jeuner. C’est rustique, tout en bois, c’est trĂšs petit et trĂšs simple, mais lumineux et fonctionnel, et vaut sans doute tout l’or du monde quand les Ă©lĂ©ments se dĂ©chaĂźnent.

En repartant, je constate que le ciel a foncĂ©, associĂ© au vent l’impression n’est pas bonne. Pari risquĂ© mais tant pis, je continue. Les kilomĂštres dĂ©filent, et j’ai l’impression d’ĂȘtre seul au monde.

Ce refuge sommaire et accueillant est un des souvenirs impérissables de cette traversée.
Ce refuge sommaire et accueillant est un des souvenirs impérissables de cette traversée.

Je remarque un point d’intĂ©rĂȘt sur ma carte, pose mon sac et dĂ©cide d’aller voir. Il s’agit d’une sorte de renfoncement auquel on accĂšde via une porte naturelle dans la pierre. Un stock de neige est cachĂ© lĂ , Ă  l’ombre, et je suis dĂ©pitĂ© d’y trouver une canette de biĂšre qui traĂźne sournoisement là
 En fait le super pouvoir de l’Humain n’est-il pas sa capacitĂ© Ă  gĂ©nĂ©rer des poubelles et Ă  les Ă©parpiller ? Comme un professeur austĂšre j’ai envie de crier “peut mieux faire !”.

Alors que je m'apprĂȘte Ă  faire ma B.A, en soulevant la canette je m’aperçois qu’elle n’est pas ouverte. Ce qui Ă©tait une infĂąme poubelle quelques secondes plus tĂŽt s’est transformĂ©e en vĂ©ritable cadeau, une biĂšre fraĂźche au milieu de rien, en ce lieu dĂ©solĂ© et battu par le soleil et le vent ! Depuis combien de temps est-elle lĂ  ? Quelqu’un l’a-t-elle laissĂ©e lĂ  volontairement ? Des questions qui resteront sans rĂ©ponse.

S’ensuit ce petit dilemme : je suis trĂšs franchement isolĂ©, dans un lieu qui peut vite devenir hostile, j’ai dĂ©jeunĂ© lĂ©gĂšrement, est-ce le bon moment pour s’enfiler une pinte ? mais si je la bois plus tard elle ne sera plus fraĂźche et donc pas trĂšs bonne
 Tant pis, “YOLO” comme on dit. (You Only Live Once - On ne vit qu’une fois.)

Le ciel s’est Ă©clairci et des nuages Ă©pars rendent le soleil supportable. Sans surprise, je marche dĂ©sormais de façon plus brouillonne, mais avec joie, j’avale la distance, m’en mets plein les yeux.

Un terrain d'aventure formidable. Je n'avais pas autant ressenti la solitude depuis les montagnes croates.
Un terrain d'aventure formidable. Je n'avais pas autant ressenti la solitude depuis les montagnes croates.

L’heure a tournĂ© et j’atteins le refuge Vrutak. Un petit groupe se trouve lĂ , des touristes emmenĂ©s par un guide. Échanges cordiaux, ils sont sympathiques. Sans doute mon teint bien bronzĂ©, la pilositĂ© indomptĂ©e, le t-shirt qui en a vu, me voyant m’affairer automatiquement Ă  trouver le rĂ©servoir d’eau, l’ouvrir, prĂ©lever de l’eau et la filtrer, on me demande si je suis lĂ©gionnaire. La bonne blague ! Je leur explique que je suis un touriste moi aussi, Ă  la dĂ©couverte de ces contrĂ©es, comme eux, et alors qu’ils sont sur le dĂ©part on me donne une pomme. Merci !

Il est Ă  peine 17h et ce refuge Ă©tant fermĂ© je dĂ©cide de faire un dĂ©tour jusqu’au prochain, Jezerce. En y arrivant, je fais la rencontre de 4 personnes, deux mecs et un couple. Une seule personne se dĂ©brouille en anglais, on Ă©change un peu mais sans plus. Il fait partie de l’association de randonnĂ©e locale et c’est sans doute grĂące Ă  sa prĂ©sence que le refuge est ouvert, il m’y souhaite d’ailleurs chaleureusement la bienvenue. En allant prendre de l’eau en contrebas, je dĂ©couvre une barquette de framboises baignant dans l’eau fraĂźche, je les remonte et en propose mais elles sont hĂ©las un peu abimĂ©es.

J’irai me coucher dans la mezzanine assez tĂŽt ce soir, pour profiter au maximum demain, de ce fait je suis en dĂ©calage complet avec les autres qui papoteront et riront joyeusement jusque tard.

Terminer la journée en contemplant la lumiÚre qui s'adoucit.
Terminer la journée en contemplant la lumiÚre qui s'adoucit.

14,5km +825m -745m