AprĂšs une fin de journĂ©e Ă©puisante moralement je dĂ©marre tranquilou. Je me fais plaisir en prenant mon temps, emprunte une hache pour dĂ©biter les aspĂ©ritĂ©s restant sur mon bĂąton en bois, et qui me griffent encore les jambes Ă lâoccasion. Pas de rush, serein, je veux ĂȘtre dans les meilleures dispositions pour lâultime Ă©tape de ce pĂ©riple dâun mois, la traversĂ©e du massif de Prenj (que lâon prononce âpreigneâ).
Il me faut te dresser un peu le portrait de cet ensemble montagneux. Il faut savoir que Prenj comporte des zones minĂ©es, et quâil est pour cette raison fortement dĂ©conseillĂ© de sâĂ©carter des sentiers. Difficile encore une fois dâimaginer quâune guerre sâest tenue dans un lieu pareil, si sauvage, escarpĂ©, isolĂ©... Les locaux semblent presque avoir la trouille quand on mentionne le nom de ce massif, ils dĂ©conseillent fortement dây aller, et encore moins sans guide.
Prenj est Ă©galement rĂ©putĂ© pour sa beautĂ©, sa flore, son cĂŽtĂ© sauvage. Ce massif est dĂ©crit dans certains livres comme une petite Himalaya, il exerce en effet une attraction trĂšs forte pour tout amoureux de montagne, nĂ©anmoins son point culminant atteint tout juste les 2155m, trĂšs loin de lâEverest donc. Est-ce que cela enlĂšve Ă son charme ? Ce nâest pas dit.
Mes inquiĂ©tudes au cours de cette traversĂ©e resteront les mĂȘmes : la mĂ©tĂ©o et trouver de lâeau. Pour le deuxiĂšme point, ma carte indique quelques refuges en chemin.
Je mâĂ©lance donc gaiement, et rapidement dĂ©mangĂ© par la belle pierre calcaire, je crapahute parfois comme un singe au lieu de suivre le chemin⊠et je ne tarde pas Ă tomber sur un premier panneau âMinesâ qui me rappelle Ă lâordre.
Le paysage sâouvre devant moi, trĂšs rocheux, trĂšs sec. Lâherbe est jaunie, agitĂ©e par le vent, et la richesse de la flore se remarque dĂ©jĂ . Je me retrouve parfois Ă marcher sur des dominos, lâĂ©rosion a hachĂ© la pierre, lâa dĂ©bitĂ©, je survole un puzzle.
Je mâattendais Ă ne croiser personne mais voici quâun homme ĂągĂ© sâavance vers moi, il est en itinĂ©rance Ă pied, câest un local. LâĂ©change est sympathique mais trĂšs limitĂ© car il parle trĂšs peu anglais.
DĂ©cidĂ©ment ça souffle, impossible de faire un panorama vidĂ©o Ă peu prĂšs fluide. Tant pis, jâenregistre avec les yeux, ça je sais faire, et me voilĂ servi. Jâatteins un refuge trĂšs sommaire, en forme de tente canadienne. Les arbres autour sont grillĂ©s, morts, leur bois est gris clair comme la pierre. Difficile de faire plus photogĂ©nique.
Le vent est tel que je mâabrite Ă lâintĂ©rieur pour dĂ©jeuner. Câest rustique, tout en bois, câest trĂšs petit et trĂšs simple, mais lumineux et fonctionnel, et vaut sans doute tout lâor du monde quand les Ă©lĂ©ments se dĂ©chaĂźnent.
En repartant, je constate que le ciel a foncĂ©, associĂ© au vent lâimpression nâest pas bonne. Pari risquĂ© mais tant pis, je continue. Les kilomĂštres dĂ©filent, et jâai lâimpression dâĂȘtre seul au monde.
Je remarque un point dâintĂ©rĂȘt sur ma carte, pose mon sac et dĂ©cide dâaller voir. Il sâagit dâune sorte de renfoncement auquel on accĂšde via une porte naturelle dans la pierre. Un stock de neige est cachĂ© lĂ , Ă lâombre, et je suis dĂ©pitĂ© dây trouver une canette de biĂšre qui traĂźne sournoisement là ⊠En fait le super pouvoir de lâHumain nâest-il pas sa capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer des poubelles et Ă les Ă©parpiller ? Comme un professeur austĂšre jâai envie de crier âpeut mieux faire !â.
Alors que je m'apprĂȘte Ă faire ma B.A, en soulevant la canette je mâaperçois quâelle nâest pas ouverte. Ce qui Ă©tait une infĂąme poubelle quelques secondes plus tĂŽt sâest transformĂ©e en vĂ©ritable cadeau, une biĂšre fraĂźche au milieu de rien, en ce lieu dĂ©solĂ© et battu par le soleil et le vent ! Depuis combien de temps est-elle lĂ ? Quelquâun lâa-t-elle laissĂ©e lĂ volontairement ? Des questions qui resteront sans rĂ©ponse.
Sâensuit ce petit dilemme : je suis trĂšs franchement isolĂ©, dans un lieu qui peut vite devenir hostile, jâai dĂ©jeunĂ© lĂ©gĂšrement, est-ce le bon moment pour sâenfiler une pinte ? mais si je la bois plus tard elle ne sera plus fraĂźche et donc pas trĂšs bonne⊠Tant pis, âYOLOâ comme on dit. (You Only Live Once - On ne vit quâune fois.)
Le ciel sâest Ă©clairci et des nuages Ă©pars rendent le soleil supportable. Sans surprise, je marche dĂ©sormais de façon plus brouillonne, mais avec joie, jâavale la distance, mâen mets plein les yeux.
Lâheure a tournĂ© et jâatteins le refuge Vrutak. Un petit groupe se trouve lĂ , des touristes emmenĂ©s par un guide. Ăchanges cordiaux, ils sont sympathiques. Sans doute mon teint bien bronzĂ©, la pilositĂ© indomptĂ©e, le t-shirt qui en a vu, me voyant mâaffairer automatiquement Ă trouver le rĂ©servoir dâeau, lâouvrir, prĂ©lever de lâeau et la filtrer, on me demande si je suis lĂ©gionnaire. La bonne blague ! Je leur explique que je suis un touriste moi aussi, Ă la dĂ©couverte de ces contrĂ©es, comme eux, et alors quâils sont sur le dĂ©part on me donne une pomme. Merci !
Il est Ă peine 17h et ce refuge Ă©tant fermĂ© je dĂ©cide de faire un dĂ©tour jusquâau prochain, Jezerce. En y arrivant, je fais la rencontre de 4 personnes, deux mecs et un couple. Une seule personne se dĂ©brouille en anglais, on Ă©change un peu mais sans plus. Il fait partie de lâassociation de randonnĂ©e locale et câest sans doute grĂące Ă sa prĂ©sence que le refuge est ouvert, il mây souhaite dâailleurs chaleureusement la bienvenue. En allant prendre de lâeau en contrebas, je dĂ©couvre une barquette de framboises baignant dans lâeau fraĂźche, je les remonte et en propose mais elles sont hĂ©las un peu abimĂ©es.
Jâirai me coucher dans la mezzanine assez tĂŽt ce soir, pour profiter au maximum demain, de ce fait je suis en dĂ©calage complet avec les autres qui papoteront et riront joyeusement jusque tard.
14,5km +825m -745m